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 Libération, lundi 23 avril 2001
  
DES FEMMES DE DETENUS S’EN VONT EN GUERRE
Eloignement familial, transfert abusifs…un collectif dénonce l’arbitraire.

    Leslie travaille à l’université de Bordeaux, Dominique est institutrice à Marseille, Nathalie aide-soignante. Toutes mères de famille, femmes de détenu. 
    Leurs histoires se ressemblent, leur vie s’est arrêtée le jour ou leur homme s’est retrouvé en prison, pour une raison ou pour une autre.
« Du jour au lendemain, on est devenu des moins que rien » s’insurge Nathalie Rivière. Elle travaillait de nuit en hôpital, elle a dû abandonner son emploi après l’arrestation de son mari, il y a trois ans. 
    Lui et son frère sont accusés de plusieurs braquages, en attente de procès dans leur prison de Bretagne. 
    « Mes enfants voient leur père deux heures par mois, il faut six heures de route pour y aller, le parloir est immonde, comment leur expliquer ce qui se passe ? ». Ses jumeaux, François et Jimmy, 4 ans et demi, crient quand ils voient un uniforme. 
    A l’école, leur maîtresse s’est inquiétée de «  leur conception surprenante de la justice », selon eux, les méchants ne sont pas ceux que l’on met en prison mais ceux qui les surveillent.Troubles.
    La belle-sœur de Nathalie, Leslie, rencontre les mêmes problèmes. Manon, sa fille de 4 ans, ne dort plus, elle mouille son lit. « Ce serait plus simple si elle pouvait voir son père plus souvent, dans des conditions décentes », dit-elle, les lèvres serrées. Une fois passé le choc de l’incarcération, elle a tenté de faire face. 
    Elle a découvert qu’une femme de détenu « n’a aucun droit, sauf celui de se taire ». Elle travaille, se rendre à Brest pour une heure de parloir lui coûte plus de 1500 francs. Elle a limité les visites : sa fille n’a pas vu son père depuis trois mois, ses troubles se sont aggravés. Leslie a écrit au secrétariat d’Etat à la famille et à l’Enfance pour parler de ses problèmes. On l’a renvoyé sur l’administration pénitentiaire. « Est-ce que ça veut dire que, parce que Christian est en prison, nous ne sommes plus une famille, que Manon n’est plus une enfant ? » s’insurge-t-elle.
    Leslie et Nathalie sont décidées à ne pas se laisser faire. Elles ont crée la semaine dernière, une association, « un collectif des familles de détenus », pour «  faire respecter leurs droits fondamentaux », le droit de chacun à une vie privée et familiale, le droit de l’enfant à voir ses parents. 
    En première ligne : le respect de l’article D 402 du code de procédure pénale, qui prône, « en vue de faciliter le reclassement des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches".
    Mutation. Un texte qui supposerait une vraie politique de rapprochement des familles, que contredisent souvent les transferts imposés par l’administration pénitentiaire. Dominique Revert en sait quelque chose. 
    Cette institutrice vivait en Bretagne, elle se rapproche de Serge, son ami, qui purgeait une longue peine à Arles. Elle déménage, achète une maison dans la région. Un mois après la signature du compromis de vente, l’administration mute Serge à Clairvaux (Aube). « Depuis, j’ai écrit partout pour demander un rapprochement, je me heurte à un mur », dit-elle. Pour elle, « tous les transferts sont abusifs » quand ils éloignent le détenu de ses proches. 
    Comme elle et comme toutes les femmes de détenus, Laurence Ségura, qui aime un braqueur multirécidiviste, assure que l’administration use du transfert comme d’une punition qui ne dit pas son nom : « C’est une menace permanente, avec cette épée de Damoclès sur leur tête, les familles n’osent rien dire. »
    En attendant son homme qui se trouve en préventive pour une affaire de stupéfiant, Audrey Rouquet, 25 ans, a lancé une pétition pour protester contre la qualité de la nourriture à la maison d’arrêt de Gradignan. « C’est pas facile d’avoir des signatures, les familles ne veulent pas se faire remarquer par les surveillants », dit-elle.
   « Victoire ». En ce sens, réunir une vingtaine de femmes pour la première assemblée du Collectif représentait déjà une « victoire », comme le disent Leslie et Nathalie. 
    Leur but : obtenir des parloirs décents, dénoncer les transferts abusifs, harceler l’administration pénitentiaire en déposant plainte dès que les textes ne sont pas respectés, obtenir une loi cadre pour éviter l’arbitraire, être pris en compte par ceux qui préparent le réforme pénitentiaire annoncée par Lionel Jospin. 
    Pour mieux se faire entendre, le Collectif fait valoir que «  dans la vie, personne n’est à l’abri de la prison » et qu’actuellement, « les familles, les enfants, vivent à la merci d’un système de non-droit », aussi longtemps que dure la peine du condamné.

Sophie Nomi